État des lieux
Si ni la réutilisation ni le réemploi du béton ne sont nouveaux - les plus vieux exemples à ce jour datent respectivement de 1919¹ et de 1967² - ils restent néanmoins extrêmement marginaux. Pourtant dans l’optique d’une réduction des pressions humaines sur la planète, il est essentiel que le béton ne soit plus seulement recyclé mais aussi réutilisé et réemployé.
Parce que le béton est le matériau porteur le plus employé dans la construction et de loin :
Depuis ses premières utilisations dans le bâtiment au début du XXème siècle, le béton a très rapidement supplanté les autres matériaux de structure jusqu’à devenir hégémonique après-guerre. Aujourd’hui en France 82% des logements collectifs et 74% des bâtiments tertiaires sont coulés en béton auxquels s’ajoutent la part des parpaings, majoritaires pour les maisons individuelles³. Ce sont donc chaque année environ 98 millions de tonnes de béton qui sont produites pour le bâtiment⁴. Alors que d’autres matériaux de structure se prêtent de plus en plus au réemploi : l’acier avec les recommandations professionnelles de juin 2024⁵, le bois comme l’illustre un autre de nos dossiers thématiques et différentes ressources, ou encore la brique avec le groupe de travail sur la constitution d’une filière par Plaine Commune ; l’essentiel de la construction recourt donc à un matériau jetable.

Parts de marchés par modes constructifs en France, IFPEB

Répartition des déchets du BTP, REPAR #2
Parce que la quantité de déchets qui en découle est massive :
Les déchets du bâtiment représentent 42 Mt/an dont 75 % de déchets inertes (environ 31 Mt)⁶. Parmi ceux-ci on trouve les terres, les éléments en terre cuite (tuiles, briques, carrelage), en pierre, le verre et principalement le béton qui pèse à lui seul 17Mt annuelles. Si aujourd'hui la durabilité des bâtiments en béton est estimée à 100 ans, sa formulation à évolué très rapidement depuis son apparition. Il y a donc un manque de recul à long terme vis-à-vis de ce matériau ainsi qu’une grande variabilité des bétons dans le parc immobilier. Certains entraînent des démolitions de par leur état, néanmoins c’est surtout le renouvellement urbain et la pression foncière qui en sont responsables, réduisant la durée de vie de ces bâtiments. Aujourd’hui 80% des déchets bétons sont recyclés, presque exclusivement en sous-couche de voirie après concassage, le reste rempli des décharges d’inertes⁷. Si la matière est en partie valorisée, la capacité structurelle acquise à grand frais est perdue.
Parce que la fabrication du béton consomme beaucoup de ressources :
Pour un m3 de béton il faut ainsi : environ 350kg de ciment (15%), près de 2 tonnes de granulat de 0 à 125mm de diamètre (80%), et autour de 150L d’eau (5%)⁸. A cela s’ajoutent 35L d’eau par kilogramme de ciment produit soit 12 250L d’eau/m3 de béton⁹. Multiplié par les volumes produits, l’impact sur ces ressources certes abondantes est conséquent. En plus de l’eau consommée alors que le stress hydrique augmente, les granulats (dont le sable) sont la deuxième ressource naturelle la plus exploitée au monde : entre 66 et 75% pour le béton¹⁰. En France c’est 18kg/jour/hab avec des effets considérables sur les écosystèmes¹¹. Le recyclage du béton concassé en granulats réintroduits dans des bétons neufs, allègerait cette consommation de matière première mais ce n’est qu’une réponse partielle.

Fabrication du béton armé, Benoit Royannais
Parce que cette production émet également beaucoup de CO2 :
Au niveau mondial, le béton est ainsi responsable d’environ 9% des émissions totales de GES¹². Un béton traditionnel émet 250kgCO2/m3 qui proviennent jusqu’à 95% de la production du clinker, le composant principal du ciment obtenu par la cuisson d’argile et de calcaire à 1450°C¹⁴. Différents substituts appelés additions minérales permettent de réduire l’empreinte carbone des ciments, et donc des bétons, parfois même de manière impressionnante avec jusqu’à 70% d’émissions en moins. On parle alors de béton bas carbone, voire ultra bas carbone, mais leur utilisation reste limitée. Ainsi les ciments produits en France émettent en moyenne 20% de CO2 en moins qu’un ciment classique (CEM I) constitué à 95% de clinker¹⁵. C’est la limite des bétons recyclés qui nécessitent au moins autant de ciment que les bétons classiques de par la chimie de leurs granulats.
Enfin dans le cas, majoritaire, du béton armé il faut ajouter à cela le poids sur les ressources et le poids carbone de l’acier : 300 à 600 L d’eau consommé¹⁶ et entre 0,5 et 1,8 kg de CO2 émis par kg d’acier produit¹⁷. Ces chiffres mènent à une augmentation de 25 à 40% d’émissions de CO2 par m3 en plus par rapport au béton non armé¹⁸.
Ces données expliquent ainsi l’importance que prennent la structure et les fondations dans les émissions de CO2 du bâtiment dues aux matériaux de construction par lots¹⁹. L’omniprésence du béton porte celle-ci à 30%, une part majeure qui doit devenir une cible principale de réduction.

Part des lots dans l’indicateur EgesPCE (Emission de gaz à effet de serre des produits de construction et équipements utilisés), Observatoire E+C-
Contexte et enjeux
Réemploi vs Réutilisation vs Recyclage : définitions et distinctions
Rappelons d'abord la pyramides des modes de traitement qui hiérarchise les modes de traitements des produits et matériaux pour minimiser les impacts environnementaux. Elle s'applique bien entendu également au béton, ce qui permet à l'aide des définitions du code de l'environnement²⁰ de préciser les enjeux de ce dossier thématique ainsi que les intérêts du réemploi et de la réutilisation du béton.

Pyramide des modes de traitement
- La prévention qui désigne “toutes mesures prises avant qu'une substance, une matière ou un produit ne devienne un déchet” pour réduire sa quantité, sa nocivité intrinsèque ou ses effets délétères est le mode de traitement prioritaire. Dans le cas du béton c’est l’entretien, la réhabilitation, la rénovation ou encore le changement d’usage des bâtiments qui y correspondent. Dans certains cas d’autre produits et matériaux, notamment du second oeuvre peuvent eux devenir des déchets.
- Le réemploi comprend “toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus”. C’est l’identicité de l’usage qui fait le réemploi, seul moyen d’éviter le statut de déchet : “tout bien meuble dont le détenteur a l'intention ou l'obligation de se défaire”. Les usages du béton sont nombreux mais ce sont surtout ses capacités structurelles qui nous intéresseront ici.
- La réutilisation est elle définie comme “toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau” Le statut de déchet est là encore essentiel puisque c’est l’élément juridique qui distingue la réutilisation du réemploi. Il y a aussi une plus grande liberté dans la variation d’usage, ce qui ouvre la porte au downcycling ou au plus rare upcycling : la sous-exploitation ou sur-exploitation des qualités techniques de l’objet réutilisé. Celui-ci peut également être altéré : nous verrons ainsi dans ce dossier des exemples de béton réutilisé après sciage ou morcellement.
- Ensuite vient le recyclage qui englobe “toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités en substances, matières ou produits”. Ce ne sont pas les qualités de l’objet mais ses composants matière qui intéressent ce traitement, ce qui s’illustre sur le sujet du béton par l’utilisation de granulats de béton démoli en sous-couche de voirie, ou par l’introduction de ces granulats dans certains bétons, voire des fines dans les ciments.
- En dernier lieu avant l’élimination, la valorisation est elle “ toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles” : ce peut être de la valorisation matière comme de la valorisation énergétique. Il y a peu de pistes de valorisation pour les 20% de bétons qui échappent au recyclage, néanmoins leur stockage à l’air libre en gravat peut favoriser sa carbonatation et compenser en partie son fort impact carbone. L’élimination prend elle plutôt la forme d’un acheminement vers les installations de stockage de déchets inertes (ISDI).
Sur le sujet du béton, autant la prévention que le recyclage sont des sujets bien renseignés. La réhabilitation des bâtiments en béton est un sujet à part entière pour lequel de nombreuses ressources existent dans l’espace thématique rénovation d’Ekopolis, comme pour l'entretien et la réparation des bâtiments des Trente glorieuses. De la même façon le taux de 80% de recyclage du béton en granulats et l’innovation continue quant à l’intégration de ceux-ci dans les bétons montrent une pratique installée, ce qu’illustrent notamment le Groupe de Travail de Plaine Commune²¹ ou le quartier La Vallée à Châtenay-Malabry et son groupe scolaire Voltaire.
Entre les deux, le réemploi et la réutilisation du béton sont deux modes de traitement encore très ponctuels bien qu’ils permettent d’exploiter les capacités structurelles ou formelles du béton. Dans le cas où la réhabilitation est impossible, ils allongent la durée de vie de cet investissement en matière, en énergie et en CO2 émis et limitent la production neuve : ils sont donc à privilégier vis-à-vis du recyclage.
Réglementations en vigueur
Cet ordre de priorité est également soutenu par un cadre réglementaire général qui s’enrichit d’année en année et qui favorise ainsi le réemploi et la réutilisation.
- La Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV)²² qui introduit la Stratégie nationale bas carbone visant la neutralité en 2050 (SNBC)²³. Le réemploi ou la réutilisation peuvent être des leviers de décarbonation particulièrement forts dans le cas des bétons.
- La loi Anti-Gaspillage pour une économie circulaire (AGEC)²⁴ prévoit plusieurs mesures pour favoriser le réemploi, le recyclage, l'usage de matériaux biosourcés, ou réemployés. Parmi elles la filière bâtiment de responsabilité élargie du producteur (REP PMCB) par laquelle les metteurs sur le marché financent des éco-organismes qui organisent la collecte et le traitement des déchets en 2 catégories. Le béton appartient à la première avec les autres matériaux et déchets inertes et permettrait d’atteindre les objectifs de réemploi de 2% en 2024, 4% en 2027 et enfin 5% de la masse des déchets en 2028.
Elle rend également obligatoire en amont d’une opération de démolition ou de rénovation significative la réalisation d’un diagnostic des produits, équipements, matériaux et déchets avec un tri à la source (PEMD). Celui-ci est transmis au CSTB ainsi qu’aux acteurs de l’opération, avant de faire l’objet d’un récolement à l’issue des travaux.
- Dans le cadre de la réglementation environnementale (RE 2020)²⁵ qui analyse les projets neufs et grandes réhabilitations sous le prisme énergie et empreintes carbone avec des seuils à exigence croissante (2025, 2028, 2031), les matériaux de réemploi sont comptabilisés avec un poids carbone nul. Là encore le réemploi et la réutilisation du béton sont intéressants au vu de la part de la structure dans les émissions carbone du bâtiment.
- L’analyse du cycle de vie (ACV) du bâtiment se construit par l’intermédiaire de fiches des produits de construction (FDES) chiffrant par de nombreux critères leur impact environnemental et sanitaire. La NF EN 15804+A2²⁶ concernant les nouvelles FDES impose le renseignement du module D, et récompense les produits intégrant la valorisation des déchets (réemploi, recyclage, et récupération).

Cycle de vie du béton, Benoit Royannais
Sources :
¹ GRANGEOT Maxence, BASTIEN-MASSE Maléna, FIVET Corentin et PARASCHO Stefana, « Large concrete rubble as a new structural construction material : opportunities and digital processes for load-bearing walls », Buildings, Vol. 15 n°9 (Mai 2025).
², ¹² KÜPFER Célia, BASTIEN-MASSE Maléna et FIVET Corentin, « Reuse of concrete components in new construction projects: Critical review of 77 circular precedents », Journal of Cleaner Production, Vol. 383 (Janvier 2023).
³, ¹⁰, ¹⁴, ¹⁸ Hub des prescripteurs bas carbone (IFPEB et Carbone 4), Brief filière béton : Les messages clés, 2021.
⁴ « Béton et environnement », École française du béton
⁵ BEYER André et BEN LARBI Amor (dir.), Recommandations professionnelles : Réemploi d’éléments structuraux en acier, CTICM, 1ère édition, 2024.
⁶ BENOIT Julie (dir.), REPAR#2 : Le Réemploi, passerelle entre architecture et industrie, Bellastock, 2028, p. 43.
⁷ HERMET Benoît, « Béton recyclé dans le béton, où en est-on ? », ByBéton, 6 janvier 2025.
⁸ BENGANA Alia, BAECHTOLD Claude, MARÉCHAL Antoine, Béton, Enquête en sables mouvants, Les presses de la cité, 2025.
⁹, ¹⁶ « Activités industrielles, Usages de l'eau et des milieux aquatiques », Eau France.
¹¹ VALO Martine, « Le sable, une ressource exploitée sans contrôle », Le Monde, 26 avril 2022.
¹³ GUILLOT Xavier, « Des additions à plusieurs inconnues pour soustraire du CO2 », Le Moniteur, n° 6217 (novembre 2022).
¹⁵ JACQUEMOT François , LE THIERRY Suzanne et ROUGEAU Patrick, Ressources minérales pour les liants des bétons décarbonés : disponibilité, perspectives d’évolution et innovations, CERIB, septembre 2022.
¹⁷ « Chiffres clés du CO2 » Statistiques.Développement-durable.gouv
¹⁹ CABANE Emerson, « Bilan carbone des bâtiments neufs – Analyse statistique des données de l’observatoire E+C- », BuildGreen, 29 août 2019.
²⁰ Article L541-1-1 du Code de l’environnement, version en vigueur depuis le 31 juillet 2020.
²¹ « Le métabolisme urbain », Plaine Commune. Dont un clausier pour favoriser l’usage de granulats de béton recyclés dans la construction, bientôt rejoint par une FAQ, un book de réalisations et des REX.
²² Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
²³ « Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) », Écologie.gouv, version du 24 juin 2025.
²⁴ Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
²⁵ « Déclarations environnementales : Décryptage de la norme NF EN 15804 + A2/CN et de son complément national », Cerema, 24 août 2023.
Les contributeurs du GT Béton
Au moment de la publication de ce dossier thématique, cela fait plus d’un an que le groupe de travail opérationnel “Réemploi et réutilisation du béton” est constitué. Il est porté par l’ADEME Île-de-France et l’ADEME Normandie représentées respectivement par Mohamedou Ba et Chloé Saint-Martin, et est animé par Karine Niego de YesWeGreen.
Différents types d’acteurs, tous volontaires s’y retrouvent : établissements publics et collectivités territoriales, maîtrises d’ouvrage publiques et privés, maîtrise d'œuvre et bureaux d’étude, centre de recherche, entreprises et fédérations, et enfin éco-organismes. Leurs apports complémentaires se structurent autour de plusieurs objectifs prioritaires identifiés lors des première rencontres :
- créer une base de données de projets existants pour analyse,
- caractériser les éléments de béton d’un bâtiment au regard de leur potentiel et de leur facilité de réemploi,
échanger avec les fabricants de préfabriqué pour environner l’amont,
- identifier des opérations susceptibles de devenir des projets démonstrateurs de réemploi et de réutilisation du béton,
- et enfin répertorier et susciter les aides ou dispositifs permettant de financer les surcoûts de ces opérations pilotes.
Une fois ces préalables établis, le groupe accompagne les projets pilotes par le biais d’ateliers collectifs, de mise en relation d’acteurs ou en servant de relais de documentation. Il permet également de capitaliser sur leurs retours d’expériences en partageant leurs enseignements. Ce dossier, largement dû à son activité, est l’occasion d’en élargir la diffusion pour promouvoir le réemploi du béton, sortir de l’expérimentation et aller vers la généralisation de la pratique.

Cartographie des contributeurs, ADEME
Contacts et initiatives à suivre
Le groupe de travail opérationnel de l’ADEME se nourrit de plusieurs autres initiatives, en France ou à l’étranger, qu’il est pertinent de mentionner pour leurs apports sur le sujet, et pour montrer sa dynamique existante plurielle.
Plaine Commune :
Via son projet Métabolisme urbain, l’établissement public territorial Plaine Commune veut impulser un nouveau modèle d’aménagement soutenable du territoire, basé sur l’économie circulaire. Cela passe par une « Charte économie circulaire », deux études: MU1 et MU2, et le développement d’outils. Bien qu’axé sur le recyclage, le groupe de travail (2023-2025) sur les gravats de béton en granulats pour la construction est ainsi un précédent intéressant. De par la rédaction d’un clausier, qui permet de systématiser dans les documents de marché l’intégration d’études préalables pour caractériser les bétons, de méthodologies de curage, et de stockage, de clauses pour la traçabilité, le sourcing et pour chiffrer les objectifs. Le but en est la valorisation par le recyclage mais une grande partie peut se transposer dans le cas du réemploi ou de la réutilisation du béton. Ce GT ouvre d’ailleurs sur ces autres modes de traitement puisqu’y ont été présentées les expérimentations de Cycles de Ville, de Bégo réemploi et de Bellastock, d’ailleurs parfois réalisées avec Plaine Commune.
Bellastock :
SCIC d’architecture qui agit en tant qu’AMO ou en conseil à la MOE pour le réemploi, Bellastock mène en parallèle une activité de recherche que les projets enrichissent. C’est le cas d’Actlab, le “premier laboratoire manifeste du réemploi de matériaux en France” implanté entre 2012 et 2019 sur l’Île-Saint-Denis qui prototype pour Plaine Commune un opus incertum en pans de béton, des bancs à partir de poteaux et des fondations en grave de béton concassé. Il sert d’étude de cas à REPAR #1 (2012-2014) sur la collecte pour le réemploi en déconstruction sélective complexe. C’est aussi le cas de la Fabrique du Clos Saint-Lazare à Stains dans le cadre du renouvellement urbain du quartier, installée sur une friche en parallèle de la démolition de plusieurs tours d’immeubles. Là aussi plusieurs prototypes sont réalisés : opus incertum scellé ou enherbé, murs en “pierres sèches” de béton, et un local technique extérieur en murs porteurs, monoblocs ou constitués de lamelles sciés. Ces 5 expérimentations s’intègrent dans REPAR #2 (2014-2018) par l’intermédiaire de 5 fiches techniques et de 2 référentiels pour le réemploi de béton en murs et en revêtement de sol, tous expertisés. Viennent aussi enrichir cette publication sur le sujet du béton une analyse économique du pavage et du local avec le CSTB ainsi que des REX de diagnostic, de démolition, et de construction. Le Reuse Tool Kit de la recherche collaborative FCRBE (2018-2023) re-propose lui les fiches techniques ainsi que la nomenclature entre réemploi, réutilisation et recyclage de béton déjà utilisée dans REPAR #2. Actuellement, Bellastock est engagée sur deux opérations de déconstruction de bâtiment béton en vue de réemployer les dalles en revêtement de sol : cheminement, stationnement et terrasses privatives. Situées à Melun et Lorient, la deuxième vise également le réemploi de panneaux de façades en dallage et en parement. Enfin la coopérative porte en partenariat avec le CSTB la recherche ABER (2024-2026) qui vise à caractériser les produits de construction de la deuxième moitié du XXème siècle en vue du réemploi. S’il est encore trop tôt pour connaître ses conclusions et la place du béton dans celles-ci, elle ouvre la porte à la quantification des gisements, des matériaux extraits, des flux, et de la proportion potentielle de réemploi au niveau national pour participer à l’estimation des scénarios de déconstruction de l’ADEME.
Cycles de Ville et Bégo réemploi :
Ces deux structures fondées par Anne-Lise Leymarie, sont très actives dans la réutilisation du béton. Une opération phare de son activité est le sciage de refends de la barre B de la cité Gagarine pour une mise en oeuvre en pavés extérieurs : un dossier thématique, une table ronde et une vidéo sont consacrés à ce chantier zéro déchets sur le site d’Ekopolis. Mais deux autres projets se penchent aussi sur ce sujet avec Plaine Commune : à Saint Denis où le béton des trémies découpées devient des bancs par superposition, ou encore à Stains dans la continuité de la Fabrique du Clos où 200m2 d’opus incertum de béton issus de la démolition d’une tour sont en cours d’installation. A cela il faut encore ajouter la mission de prototypage et R&D proposée par la Ville de Paris pour le réemploi de dalles béton gravillonnées en carrelage de 2023, qui résonne avec l’activité de Bégo réemploi : la production de dallages de sol et de mobilier intérieur ou extérieur par sciage de béton. Enfin, il est question aujourd’hui d’un projet de recherche avec le CSTB, l’EPFL et l’Université Gustave Eiffel sur le réemploi de poteaux et de poutres béton.
Laboratoire d’exploration structurale de l’EPFL :
Le travail de cette entité de recherche sous la direction de Corentin Fivet se focalise sur la construction réversible et le réemploi du béton. Elle opère dans le contexte suisse, où les normes de construction diffèrent bien que soumises aux mêmes eurocodes et où le béton est bien plus souvent préfabriqué qu’en France. Utilisé en partie pour construire le premier chapitre de ce dossier, un article issu de la thèse de Célia Marie Küpfer rapporte l'existence de 77 projets réemployant des éléments de béton entre 1967 et 2022 en Europe. Elle écarte de sa sélection les éléments réutilisés hors structure ou pour un autre usage anticipé, mais intègre béton coulé et préfabriqué, projet construit ou projeté. Une analyse croisée identifie ensuite 7 différentes tendances de réemploi réparties dans les 3 périodes identifiées du réemploi du béton. A cela s’ajoutent plusieurs autres publications abordant le réemploi du béton préfabriqué ou coulé en place par sa caractérisation, sa démontabilité, son impact environnemental ou encore son équilibre économique. Mais la recherche de l’EPFL est surtout expérimentale. Plusieurs prototypes sont ainsi construits. RE:CRETE : une passerelle arquée post-tendue en blocs de béton coulé sciés, FLO:RE : le réemploi de dalles de béton armé et d’éléments métalliques pour un système de plancher, RebuilT : la découpe de modules de béton coulé - poteaux et dalles en pied et en tête - utilisés pour la construction d’un pavillon, ou encore les différentes expérimentations de Maxence Grangeot sur les gravats de grandes dimensions : un premier empilement vertical, un deuxième assemblage plus ajusté avec mortier, et enfin la dernière en date une juxtaposition des blocs et le coulage du béton à l’horizontal avant de redresser le mur ainsi créé. Tous ces prototypes interrogent la qualité opérationnelle du réemploi autant que les articles précédents : méthodologie de découpe, de récupération, de transport ou encore de mise en œuvre pour chercher la généralisation de ces pratiques.
Autres initiatives intéressantes :
- Superlocal - Super Circular Estate (2017-2022) est un projet néerlandais d’aménagement de quartier qui réemploie, entre autres, des modules de béton coulé sciés. Extraits d’une barre de logement abaissée, ils sont constitués de deux refends et des dalles liées et servent de base structurelle pour un pavillon démonstrateur et pour la construction d’une des trois maisons tests. Néanmoins cet élément ne se retrouve pas dans la série de 15 maisons réalisées ensuite, utilisant du béton à 100% de granulats recyclés.
- La recherche Recreate, financé par l’union européenne et associant des acteurs de Finlande, de Suède, d’Allemagne et des Pays-Bas, s’intéresse lui à la déconstruction et au réemploi d’élements de béton préfabriqués. Avec un projet pilote prévu dans chacun de ces pays, ce programme sur 4 ans (2021-2025) cherche à rendre techniquement et économiquement viable ce réemploi de béton. Un prototype sur site constitué de 99% de réemploi a ainsi vu le jour en 2022 à Helsingborg, constitué d’éléments réassemblés sur place.
S’il sont plus ou moins engagés dans le groupe de travail opérationnel de l’ADEME sur le réemploi et la réutilisation du béton, l’activité de ces acteurs est à suivre tant elle fait progresser la connaissance sur ce sujet et sur son opérabilité. Plusieurs des projets mentionnés sont d’ailleurs développés dans la partie suivante dédiée aux retours d’expériences d’opérations.
Les retours d'expériences détaillés
Les parties précédentes de ce dossier l'ont montrées, la pratique du réemploi et de la réutilisation du béton n'en est qu'à ses débuts. Les retours d'expériences rassemblés ici s'attachent donc à présenter des opérations qui participent directement au développement de celles-ci. Que ce soit dans l'optique de monter une filière de pavés de réemploi comme pour le quartier Gagarine de Romainville, les projets consécutif d'expérimentation et d'application au Clos Saint-Lazare de Stains, ou les projets du passage Amelot à Paris et de Melun.
Le Clos Saint-Lazare à Stains, 2018-2025
- Une première démolition permet l'expérimentation de la Fabrique du Clos. Plusieurs prototypes et fiches techniques de réemploi de béton en découlent.
- Une deuxième démolition donne l'opportunité de capitaliser dessus et de réaliser 200m² d'opus incertum de béton à proximité.

Le Passage Saint-Pierre-Amelot à Paris, 2018-2026
- Lauréat de l'appel à projet Réinventons Paris 2, cette opération réhabilite les anciens garages Renault, parking et ateliers, en logements.
- Avec un axe fort sur le réemploi, ce sont 200m² de planchers bétons sciés qui sont réutilisés en dallage extérieur sur le projet.

Le quartier Gagarine de Romainville, 2019-2025
- Dans le cadre de l'opération de renouvellement urbain du quartier, la démolition d'une barre de logement se fixe un objectif "zéro déchet".
- Le béton y occupe une place importante avec comme traitement principal la découpe des voiles en pavés pour plus de 1300m² de cheminements extérieurs.

Résidences d'Habitat 77, 2023-2025
- Douze projets de résidences, six démolitions et six rénovations/réhabilitations, permettent de réfléchir la circularité de leur composant territorialement.
- Les panneaux de façades préfabriqués et les refends sont ainsi réutilisés en revêtement de sols mais aussi de façade.

Quelques autres opérations
Au delà des REX présentés ci-dessus, de nombreuses opérations témoignent de l'activité certes encore marginale mais très riches du réemploi et de la réutilisation de béton, et présentent des éléments réutilisés ainsi que des usages plus diversifiés. Retrouvez donc ci-dessous une liste non-exhaustive des projets réemployant et réutilisant du béton, constituée au fil des recherches sur le sujet.
Photos | Opérations remarquables | Description |
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Bellastock
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| Expérimentations de chantier issues de la démolition des entrepôts Printemps : opus incertum en pavés de béton, bancs en poteaux béton, fondations en grave de béton concassé. L'ensemble du projet et les autres matériaux réemployés nourrissent la recherche REPAR #1. |
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EPFL
| Re:Crete,
| Prototype de passerelle en éléments de béton coulé sciés et assemblés sur mannequin avec mortier et post-tendu. |
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![]() | Pavillon de l’école
| Extraction de modules de béton d’un bâtiment démoli à Renens (poteaux liés en tete et pied avec une portion de dalles ) qui font la structure du pavillon. Reste de la construction en autres éléments de réemploi ou biosourcés. |
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Maxence Grangeot
| Upcycling concrete
| Deux prototypes utilisant de gros gravats de déconstruction, assemblés à l’aide d’outils numériques (géométrie et percement), issus des recherches de Maxence Grangeot. Un troisième prototype est en cours à l'été 2025 avec assemblage à plat, béton coulé dans les interstices et redressement du voile. |
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Superlocal
| Superlocal,
| Réemploi de modules de béton (2 dalles avec 2 refends) découpés dans une barre pour la construction d’un pavillon démonstrateur, puis d'une "maison circulaire". |
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Recreate
| Pavillon pilote,
| Pavillon construit pour l'exposition H22 à partir de 99% de réemploi et avec le désassemblage pensé. Les semelles isolées, poteaux, poutres et dalles béton utilisées sont issues d'un bâtiment voisin. |
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Les Canaux
| Maison des canaux,
| Bâtiment démonstrateur du réemploi dans la construction, avec du béton réutilisé : - en revêtement de sol : dalle béton de la station Porte Maillot sciée et travertins granito issus du quartier Gagarine, - en mobilier : plaques bégo en plans de travail, assises et plateaux de table. |
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Extralife
| Bréguet CentraleSupélec,
| Réemploi des allèges en béton armé blanc, panneaux sandwichs préfabriqués, dans la réhabilitation du bâtiment. Parmi d'autres matéraux et produits réemployés. |
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Codah
| Centre de recyclage,
| Béton concassé réutilisé en gabion de soutènement parmi d'autre pierres d’origines variées : enrobé, roches, briques et tuiles, triées selon le calibre. |
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CCVK
| Centre de recyclage,
| Réemploi de murs de quais préfabriqués en L, en murs de soutènement alterné avec des pré-murs supportant la structure de couverture. |
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Pierre-Yves Brunaud
| Médiathèque James Baldwin,
| Réutilisation des dalles bétons intérieures découpées pour réaliser des trémies en dallage extérieur du parvis. |
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Hampus Berndtson
| Thoravej 29,
| Travées de plancher béton réemployées en support d'escaliers : l'ensemble des poutrelles secondaires de la dalle est maintenue par des sabots métalliques. L'emmarchement est constitué de caillebotis métalliques. |
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Groupe Ensemble
| NPNRU Paul Eluard,
| Projet en cours, de réutilisation en pavage (600m2) et mobilier urbain de 50% des poteaux béton du site. Les très grandes quantités (14 000t) permettant une industrialisation de la démarche, avec stockage in situ et intégration du CERIB (Centre de recherche sur le béton) pour la qualification technique. |
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EPFL
| FLO:RE,
| Prototype de plancher porteur issu des recherches de Célia Küpfer, et réalisé à partir de dalles sciées et de poutres métalliques également réemployées. Contrairement aux autre prototypes, les éléments béton travaillent ici également en traction en tirant parti des armatures existantes. |
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Grand Paris Aménagement
| Traverses monobloc,
| Idée originale de Paule Green paysagistes de réutiliser les traverses de béton du réseau nationale, régulièrement renouvelées mais toujours très performantes. Mise en oeuvre pour un parking à Bondoufle et dans un parc paysager à Tigery, la solution est reproduite ensuite pour un autre parking à Forbach. |
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Radiolac
| Maison Vaudagne, Services industriels de Genève, 2023, Meyrin. | Réemploi d'environ 700m2 de revêtement de route en béton (soit plus de 300 tonnes) scié sur mesure sur un chantier de voierie à proximité. C'est la troisième itération pour la ville de Meyrin après un hangar au Jardin alpin et une mise en oeuvre au centre sportif des Vergers, mais la première dans l'espace public. |
Pour aller plus loin :
- L'article de Célia Küpfer qui identifie 77 opérations de réutilisation structurelle d'éléments de béton, analysés par époque et par tendances.
- La carte de l'EPFL relevant les différentes opérations de réemploi et de réutilisation de béton
Journée Francilienne de l'Économie Circulaire dans le bâtiment et l'aménagement
Lors de cette 4ème édition sur le thème de l'aménagement circulaire, organisée par Ekopolis avec les partenaires financiers du programme thématique EC, la dernière séquence de la journée sera dédiée au réemploi et à la réutilisation du béton. Elle s'inscrit dans la continuité de ce dossier thématique.

La table ronde sera introduite par Benoit Royannais, chargé de mission économie circulaire chez Ekopolis et auteur de ce dossier, et par Karine Niego, animatrice du Groupe de travail opérationnel de l'ADEME. La discussion conviera :
- Maxence Grangeot, chercheur doctorant au laboratoire d'exploration structurale de l'EPFL
- Hugo Topalov, ingénieur architecte coordinateur de projets réemploi & économie circulaire chez Bellastock,
- Cécile Oechsner De Coninck, cheffe de projet Architecture et Développement durable chez Immobilière 3F
- et Anne-Lise Leymarie, architecte et fondatrice de Cycles de Ville et de Bégo Réemploi qui animera les échanges.
Les participant·es dresseront dans un premier temps un panorama de la pratique à travers leur activité : recherche, expérimentation et prototypes jusqu'à l'intégration dans des chantiers classiques. Suivra dans un deuxième temps un échange sur les clés permettant de faire progresser le réemploi et la réutilisation du béton. De quels éléments et outils les différents acteurs ont-ils besoin ? Comment dépasser les problèmes rencontrés ? Enfin, quels leviers et quels cadres permettraient d’appuyer un passage à l’échelle ?
Mohamedou Ba, responsable déchet à l'ADEME Île-de-France, conclura cette séquence en montrant comment le groupe de travail opérationnel permet d'appuyer les pistes de développement précédemment identifiées.