
Ekopolis a organisé une visite du chantier de logements collectifs à Bagneux le 21/04/23 dans le cadre du cycle de visites de bâtiments durables.
En complément de ce compte-rendu, nous vous invitons à parcourir la fiche de l’opération. Elle vous apportera des compléments sur les acteurs du projet, sa programmation, la réponse architecturale et les spécificités liées à la démarche environnementale.
Intervenants
- Adrien Poullain & Léo Guiraudie - SCOP Les Grands Moyens Construction, entreprise en charge du Lot Terre
- Jeanne Le Jossec - C&E Ingénierie, BET Structure, façade et terre crue de la phase EXE
- Lina Beqqali - TOA Architectes Associés
Choix de la mise en oeuvre de la terre crue
La décision de mettre en oeuvre de la terre crue en façade, isolée par l'intérieur, est issue :
- d'une prescription de l'aménageur, qui souhaitait que le matériau géosourcé soit visible depuis la rue
- d'une volonté de TOA Architectes associés de démocratiser la mise en oeuvre de ce matériau encore peu répandu
A noter que l'isolation par l'intérieur de la terre crue ne permet pas de bénéficier pleinement des propriétés hygrothermiques et acoustiques de la terre crue.
Etant donné qu'il n'existe pas de Document Technique Unifié (DTU) pour la mise en oeuvre de briques de terre crue extrudées en façade, la MOE et l'entreprise du lot Terre crue ont travaillé dans une démarche d'expérimentation, en lien avec le Bureau de contrôle. Ces expérimentations ont pour objectif de contribuer à la mise en place de futures règles professionnelles.
Focus sur les parois extérieures courantes :
Mise en oeuvre
Les briques de terre crue extrudées sont posées sur une talonnette en béton disposée entre deux poteaux béton, puis jusqu’à la retombée de poutre.
Des cornières en inox sont fixées sous les linteaux pour éviter le déversement des remplissages maçonnés. Elles sont masquées dans l’épaisseur de la paroi.
Une bande de désolidarisation (mousse haute densité) disposée le long des poutres assure que la poutre béton peut fléchir sans s'appuyer sur le mur en briques de terre crue (et ne pas les mettre en compression).

Après séchage, un brossage énergique avec une brosse sèche et dure permet d'homogénéiser l’aspect du mur et les éventuels micro sur-épaisseurs de sable, sans gommer l’aspect de mur maçonné : l’aspect reste celui d’un mur en brique “rustique et artisanal”. Le brossage permet également de dépoussiérer le mur pour éviter tout dépôt lors d'éventuels frottements avec des meubles ou vêtements.
Les murs de façade sont isolés par l’intérieur : 15 cm d'isolation souple type métisse en deux couches, puis pare-vapeur et plaque de plâtre. Ces choix ne permettent pas d'utiliser les propriétés hygrothermiques et d'inertie que la terre crue peut offrir pour le confort intérieur.
Étanchéité
L’étanchéité à l'eau est assurée par le mortier.
L’étanchéité à l’air est assurée :
- en partie courante : par le mortier
- le long des poteaux et poutres béton : par un Compriband (proposition du BE Terre de l'entreprise)

Le coefficient de dilatation de la terre et du béton étant différents, il est possible qu’une lame d’air se créé entre les poteaux béton et les murs en terre crue. Pour résoudre cette problématique des joints creux ont été ménagés au sein des poteaux bétons afin d’augmenter la largeur des murs en terre crue (proposition du BE Terre Energie Conseil).

Protection des intempéries
Les murs de façade sont protégés des intempéries par les débords de dalles des balcons. Leurs profondeurs varient en fonction des expositions : 60 cm au sud, 170 cm à l'ouest, 130 cm à l'est. Ce dispositif n'est pas suffisant pour les deux derniers étages (les casquettes en attique ne sont pas assez profondes), la façade sud et le rez-de-chaussée (trop exposé au passage et aux remontées capillaires). Pour ces façades, la terre crue est remplacée en partie basse (sur 1 m de hauteur) par des briques de terre cuites. Le mur en contact direct avec la rue est entièrement en briques de terre afin d'être plus pérenne.


La mise en œuvre de briques en terre crue stabilisée a été étudiée, mais le fournisseur des briques de terre crue retenu (briqueterie Dewulf) n’en produit pas.
Les briques de terre cuite n’ont pas la même teinte que celles en terre crue, mais les joints qui seront mis en œuvre sur ces briques (chaux /sable) seront d’une teinte similaire à ceux des briques de terre crue (argile/sable).
Focus sur les cloisons intérieures
Les cloisons intérieures sont réalisées en simple appareillage (une épaisseur de briques, soit 11 cm), elles sont autoportantes. A chacune de leurs extrémités, les cloisons viennent se poser perpendiculairement contre un mur de refend en béton et une cloison classique en plaques de plâtre.
La terre crue est remplacée par des briques de terre cuite sur les deux premiers rangs avec des joints chaux/sable pour former une plinthe “imperméable”, au sommet desquelles est appliqué une peinture bitumineuse pour éviter les remontées capillaires en cas d'inondation (fuite).

La cloison sépare le séjour et les sanitaires, elle n’assure aucune fonction technique :
- pas prévu d'incorporation de réseau (ni électricité ni d’eau)
- pas d’exigence d’un affaiblissement acoustique particulier (d’ailleurs caractéristiques inconnues)
La cloison a une hauteur de 2,80 cm, son élancement est donc important. Pour empêcher son déversement, 2 cornières inox sont fixées au plafond béton de part et d'autre de la cloison. Une variante d’une lisse en bois n’a pas été retenue, car la section aurait dû être plus grande donc plus visible et plus complexe à poser.
Impact d'un lot terre crue dans l'organisation du chantier
Ce chantier a permis aux différents acteurs du projet de monter en compétence sur les spécificités de la terre crue :
- expérimentations liées à l'absence de règles professionnelles : certains détails ont évolués pendant le chantier
- interactions entre le lot terre crue et les lots plus classiques (plomberie, CFO/CFA, etc.)
- assemblages entre la terre crue et d'autres matériaux pour régler des problématiques acoustiques et thermiques
- ordonnancement du chantier différent (impact sur le planning OPC), notamment parce que la terre crue est un matériau sensible à l'eau
Mise en oeuvre sur chantier
Des murs témoins ont permis de tester, vérifier et adapter les différentes exigences techniques, mais également de mettre en place les bonnes modalités d’accès dans ce site dense. A titre d’exemple, les largeurs des coursives ou des baies ne sont pas forcément compatibles avec les besoins de manœuvre du transpalette livrant les bigbags de mélanges de terre ou les palettes de briques.
L’entreprise Les Grands Moyens Construction est en charge du lot Terre crue. Peu de personnes sont formées à la maçonnerie terre crue en Ile-de-France. Ainsi, une dizaine de maçon.nes sont venus compléter les effectifs de la coopérative pour ce chantier. Ils sont originaires de différentes régions de la France.
Les parois doivent être montées en deux passes : les premiers 1m40 de hauteur pour laisser le mortier se tasser pendant 3 semaines avant de maçonner les 1m40 restant jusqu’au linteau.
Pour éviter tous désordres liés au gel (avant séchage de la maçonnerie), les compagnons ne travaillent pas les jours où il fait moins de 7°C et les périodes où il gèle la nuit (chantier en plein vent).
Pour ces raisons, la mise en œuvre de la terre crue a commencé à la fin de l’hiver, mais avant la mise hors d’eau du bâtiment. Il y a eu quelques désordres ponctuels suite à de forts événements pluvieux : soit l’eau s’écoulant directement par les trémies nécessaires aux passage de gaines ou emplacement des descentes d'eaux pluviales, soit par l’eau se créant un chemin difficilement prévisibles selon la planéité, les joints et fissures du béton.
Le mur peut difficilement être protégé pour éviter ces écueils, puisqu’il doit sécher après son montage. Il faut donc anticiper toutes les entrées d’eau possibles et travailler autant que possible lorsque le bâtiment est hors d’eau.
60% des maçons de la Scop Les Grands Moyens mobilisés sur le chantier sont des maçonnes. Un bungalow dédié a dû venir compléter la base vie.
Focus sur le producteur : la Briqueterie de Wulf

La briqueterie De Wulf produit et fournit les briques de terre crue extrudées à partir de terre de Picardie.
Elle est située à Allonnes dans l’Oise, à 100 kilomètres du chantier. Il s’agit d’une entreprise du patrimoine vivant (label EPV) qui existe depuis plus d'un siècle et utilise des procédés traditionnels et simples.
La composition des briques de terre crue extrudées est presque identique à celle des briques de terre cuite, sans l’étape de cuisson. Il y a un peu de sciure de bois afin de limiter la micro fissuration des briques au séchage (un temps de séchage de 1 à 3 semaines est nécessaire).
Les briques cuites sont de l’ordre de 20% plus cher que les briques de terre crue. L’entreprise deWulf ne produit pas de briques de terre stabilisée ou de briques de terre compressée (BTC).
La mise en œuvre des briques de terre crue extrudées a généré très peu de déchets. Celles qui ont été cassées sont récupérées par la briqueterie pour être remises dans le circuit de fabrication.

A noter que la fabrique Cycle terre n'était pas encore opérationnelle au moment des études et de l’appel d'offres. Cette nouvelle entreprise sur le marché francilien, propose désormais des blocs de terre compressée (beaucoup plus dense et pas le même format que les briques traditionnelles), faites à partir des terres excavées du grand Paris.
Focus sur le contexte réglementaire :
Tests, expérience et avis techniques existants sur lesquels l'équipe s'est appuyée :
- NF DTU 20.1 - « Ouvrages en maçonnerie de petits éléments – Parois et murs »
- NF DTU 20.13 – « Cloisons en maçonnerie de petits éléments »
- Eurocode 6 : Calcul des ouvrages en maçonnerie
- Plusieurs ATEx (Appréciation technique d’expérimentation) de BTC (Brique de terre comprimée) existent pour la cloison intérieure, le remplissage de façade isolée par l’extérieur, le parement intérieur, et le refend porteur intérieur, mais rien pour les parois extérieures :
Le travail de justification de la tenue au vent s’est basé par analogie sur les données des ATEx pour les maçonneries BTC. Lorsque la largeur du trumeau est supérieure à 2,60 m, les données de résistance en flexion hors-plan fournies dans les ATEx ne permettaient pas de vérifier par le calcul la stabilité des maçonneries.
Des raidisseurs métalliques (UPE) ont été mis en place à l'arrière de la parois (noyé dans le doublage intérieur) pour rediviser par deux les charges. L’épaisseur disponible dans le doublage ne permettait pas de mettre des raidisseurs en bois.
Il s’agit du chantier le plus important à ce jour pour la briqueterie de Wulf, plusieurs études ont été co-financées par Les Grands Moyens et Dewulf (réalisées par le Laboratoire CTMNC) :
Essais briques :
- Efflorescence
- Dilatation à l’humidité
- Résistance au gel
- Résistance à l’écrasement (compression)
- Essai extractomètre dans la brique pour déterminer la fixation des raidisseurs dans la maçonnerie
- Détermination de la masse volumique
Essais mortier :
- Résistance au cisaillement
- Résistance à la compression
- Résistance à la traction et la flexion
Essais sur les accessoires :
- Essai de cisaillement des attaches en équerre ancrées dans le mortier de terre crue
- Essai d’arrachement des tiges dans les briques de terre crue en vue de la fixation des raidisseurs
Tests réalisés sur les cloisons intérieures :
- Test “du sac” pour attester de la sécurité des personnes.
- Sac normalisé 50kg
- Testé à 120 joules puis 240 joules
- La cornière en tête de cloison agit comme un obstacle physique et maintient la cloison.
- La cloison reste “souple”, sur une vidéo au ralenti on peut observer le mouvement de la cloison subissant l‘énergie du choc et le fait qu’elle se replace après légère oscillation sans désordre
Test réalisé sur les façades extérieures pour vérifier la conservation des performances et la sécurité des personnes en cas de choc accidentel (à 400 joules puis 900 joules).